Julien Tourreille - Directeur adjoint de l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM.
Le
15 août 2012, un groupe d’anciens membres des forces spéciales et des services
de renseignement, le Special Operations
OPSEC Education Fund Inc., a lancé une campagne médiatique dénonçant
l’exploitation politique des enjeux de sécurité nationale, en particulier la
neutralisation d’Oussama Ben Laden, par l’administration Obama. Dans une vidéo
de 22 minutes intitulée Dishonorable Disclosure, un individu
se présentant comme un ancien Navy SEAL affirme : « Mr le Président,
vous n’avait pas tué Oussama Ben Laden, l’Amérique l’a fait. C’est le travail
des militaires américains qui a permis de tuer Oussama Ben Laden. Ce n’est pas
vous ». Au 21 août, cette vidéo a été visionnée plus de 2,8 millions de fois
sur YouTube.
Cette
campagne médiatique n’est pas sans rappeler l’épisode des Swift Boat Veterans
for Truth. Lors
de la course à la Maison-Blanche en 2004, ce groupe était parvenu, avec une série de vidéos
similaires dans leur grossièreté et leurs approximations, à ternir la
crédibilité du candidat démocrate John Kerry sur les enjeux de sécurité
nationale. En répondant fermement à l’attaque du Special Operations OPSEC Education Fund, Barack Obama ne prend donc
pas un risque, même si ce groupe met en scène des membres d’institutions –
particulièrement les forces spéciales – bénéficiant d’une certaine notoriété
aux yeux de l’opinion publique.
En
revanche, une publicité de campagne mise en ligne par l’équipe Obama le 2 août
et intitulée « Worried »
apparaît politiquement plus risquée, et inutile. Commençant par un rappel des
décisions controversées prises par George W. Bush (guerres en Afghanistan et
surtout en Irak, baisses d’impôts pour les plus riches), cette publicité
dénonce par ailleurs la volonté du candidat républicain Mitt Romney d’augmenter
le budget de la défense. Il est vrai que, selon un sondage récent,
l’opinion américaine est plus favorable à des coupures budgétaires au
département de la Défense qu’à des réductions de dépenses pour les programmes
tels que Medicare, Medicaid, la Sécurité sociale, ou encore l’éducation. Une étude
publiée en mai 2012 met de plus en évidence que les Américains appuient des
coupures budgétaires pour la défense largement supérieures (103 milliards de
dollars) à celles qui devraient entrer automatiquement en vigueur à la fin de
cette année si la Maison-Blanche et le Congrès ne parviennent pas à un accord
sur la réduction du déficit du budget de l’État fédéral (55 milliards de
dollars). Ces coupures dans le budget de la défense font même l’objet d’un
consensus bipartisan.
Ces données
ne traduisent pas un changement profond dans l’état de l’opinion publique
américaine. Selon des données recueillies par l’institut Gallup, celle-ci
considère en effet depuis les années 1980 que le gouvernement fédéral dépense
trop en matière de défense.
Les
Américains jugent les dépenses en matière de défense excessives
Si
la population américaine n’accorde donc pas un appui aveugle et automatique aux
dépenses de défense, il n’en demeure pas moins que Barack Obama prend un risque
inutile en dénonçant une hausse du budget de la défense telle qu’envisagée par
le candidat Romney. Une telle position peut en effet être
perçue comme une marque de faiblesse par une partie de l’électorat. Il ne faut
pas oublier que les Républicains ont continuellement dénoncé la faiblesse et la
naïveté des Démocrates sur les enjeux de sécurité nationale au cours des
dernières décennies. Michael Cohen rappelle
par exemple que George McGovern fut cloué au pilori par Richard Nixon en 1972
après avoir parlé d’une diminution de 37 % du budget de la défense. En 1984,
Ronald Reagan évoqua l’ours soviétique pour mettre en garde contre la menace
que ferait porter une diminution des dépenses militaires imposée par les
Démocrates. Dans son discours d’investiture en 1992, George H. W. Bush dénonça
la naïveté des positions démocrates en matière de relations internationales.
Enfin, en 2000, George W. Bush soutint que l’administration Clinton avait
présidé à un délabrement du moral et de l’état de préparation des forces
armées.
Surtout,
Barack Obama n’a pas besoin d’engager les hostilités sur le terrain de la
politique étrangère avec ses adversaires républicains. Celle-ci n’est pas au
cœur des préoccupations des électeurs dans la perspective de l’élection du 6
novembre prochain. Le président Obama bénéficie par ailleurs sur ces questions
d’une crédibilité très nettement supérieure à celle de Mitt Romney. Par
exemple, 50 % des Américains lui font confiance pour protéger les
États-Unis d’une attaque terroriste, contre 38 % seulement pour Mitt Romney. La
moitié des Américains estiment également que Barack Obama ferait preuve d’un
jugement adéquat en situation de crise. Ils ne sont que 37 % à avoir la même
opinion concernant Mitt Romney.
J.T
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