jeudi 30 octobre 2014

Le Parti républicain peut-il de nouveau séduire les Afro-Américains ?

L’avènement en 2010 du Tea Party a consacré le retour fulgurant des conservatismes social et fiscal poussant toujours plus à droite le Parti républicain. Les gains considérables de sièges au Congrès réalisés ces dernières années par le Grand Old Party rendent compte de l’influence indéniable des conservateurs sur la définition de la politique nationale américaine. En 2012, une pluralité d’Américains (38%) se définissaient comme conservateurs (contre 34% pour les libéraux).
Le conservatisme n’est pas un phénomène exclusivement blanc. 33% des Afro-Américains affirment ainsi être proches des idées conservatrices. Ce chiffre, bien qu’il puisse paraître curieux (compte-tenu de l’appui massif des Noirs pour le Parti démocrate), s’explique en grande partie par le fait que les Afro-Américains représentent le groupe ethnique le plus croyant et le plus pratiquant aux États-Unis. En effet, 79% d’entre eux accordent une place importante à la religion dans leur vie quotidienne. Alors que 37% des Américains déclarent se rendre à l’office au moins une fois par semaine, ce chiffre s’élève à 53% chez les Afro-Américains. 76% des Noirs affirment prier au moins une fois par jour contre 58% pour le reste de la population.
Ainsi, en instrumentalisant les valeurs chères aux Afro-Américains comme la place de la religion dans la société, l’opposition à l’avortement et au mariage gai, des élites politiques noires conservatrices parviennent à sensibiliser une partie de cet électorat (et à l’amener à appuyer le Parti républicain). Stratégie qui pourrait s’avérer payante non seulement pour le 4 novembre prochain mais également pour les présidentielles de 2016.


 Quelles sont les courses à surveiller ?

Déjà en 2012, un nombre record d’Afro-Américains (72) étaient en course pour remporter un siège sur Capitol Hill. Ce nombre explose cette année avec 83 candidats issus de la communauté noire, soit 65 démocrates et 18 républicains. Parmi ces candidatures républicaines, trois retiennent particulièrement notre attention.

Tim Scott

source :https: www.scgop.com
                                                
      
Sénateur de la Caroline du Sud, il est en élection cette année afin de conserver le siège dont il a hérité en 2013 après la démission du républicain Jim DeMint, aujourd’hui à la tête de la Heritage Foundation, un influent think tank conservateur. Au moment de sa nomination au Sénat par la gouverneure de l’État Nikki Haley, Scott venait tout juste de remporter un second mandat comme représentant du premier district de la Caroline du Sud à la Chambre des représentants. Selon les derniers sondages, il serait en avance de près de 20 points sur son adversaire démocrate Joyce Dickerson. Scott s’intéresse particulièrement aux questions d’immigration illégale qu’il associe étroitement aux enjeux de sécurité nationale : « A porous southern border is not just an illegal immigration issue, but should be considered a threat to national security ».
Pour enrayer ce phénomène qu’il considère comme un fléau, il se prononce en faveur du déploiement d’un nombre plus important d’agents à la frontière, de la construction de murs frontaliers et préconise le renforcement des systèmes de surveillance vidéo afin de faciliter le repérage des immigrants illégaux.

William Hurd

source : www.hurdforcongress.com


Cet ancien agent de la CIA âgé de 37 ans fait campagne contre le démocrate Pete Gallego pour remporter le siège de représentant du 23e district du Texas. Cette course s’annonce comme l’une des plus serrées. Le Texas est reconnu pour avoir une des lois les plus restrictives concernant le vote. En effet, les électeurs doivent fournir une pièce d’identité gouvernementale pour avoir accès aux urnes. Plus de 600 000 Texans risquent ainsi d’être privés de leur droit vote, dont la plupart sont issus de milieux défavorisés et sont par conséquent plus enclins à voter démocrate. Afin de remporter cette course électorale, Hurd surfe sur l’impopularité d’Obama dans son État, en assimilant notamment son opposant aux politiques du président. Il bénéficie également du soutien de Paul Ryan (ancien candidat à la vice-présidence et représentant du premier district du Wisconsin) et du gouverneur du Texas Rick Perry qui a vanté dans une publicité les mérites du jeune candidat.


Mia Love


source : ww.observer.com




Étoile montante du Parti républicain, cette jeune femme de 38 ans ne met pas sa couleur de peau au cœur de sa stratégie de campagne puisque seulement 1% de la population de l’Utah est afro-américaine. D’origine haïtienne, elle s’est convertie au mormonisme et affirme son attachement aux valeurs familiales traditionnelles. Elle fut l’une des personnalités publiques les plus remarquées de la convention républicaine de 2012. Après avoir échoué de peu à se faire élire en 2012 malgré l’appui du Tea Party, Mia Love a pris ses distances avec ce mouvement ultra-conservateur. Cette année, elle tente à nouveau sa chance afin de remplacer le démocrate Jim Matheson, qui a annoncé sa retraite. Selon les derniers sondages, elle serait en avance de 9 points sur son adversaire démocrate Doug Owens pour devenir la prochaine représentante du 4e district de l’Utah.

Des victoires qui se révèleraient historiques

Les résultats des élections du 4 novembre prochain pourraient se révéler historiques. En effet, si Tim Scott est élu, il serait le premier sénateur Afro-Américain républicain du Sud élu à Washington. William Hurd quant à lui, serait  le premier représentant noir républicain de l’histoire du Texas. Enfin, Mia Love deviendrait la première femme noire républicaine à siéger au Congrès. De plus, ces trois personnalités représentent des franges de la société américaine que le Parti républicain peine à séduire (les jeunes, les minorités ethniques et les femmes). Ils constitueraient des atouts de poids que le GOP pourrait faire valoir en 2016 lors des prochaines présidentielles.

 A.E


vendredi 9 mai 2014

La « Grande société » de Johnson fête ses 50 ans

Ce billet et co-écrit avec Christophe Cloutier, candidat au doctorat en science politique, et chercheur en résidence de l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM.


Photo : Gamma-Keystone via Getty Images




Il y a 50 ans, le 7 mai 1964, lors d’un discours devant des étudiants de l’Université de l’Ohio, le président américain Lyndon Johnson énonçait pour la première fois son rêve d’une « Grande société » (Great Society), où pauvreté et exclusion raciale seraient choses du passé. La suite devait montrer que ce discours était davantage que simple rhétorique. Après une victoire décisive lors des élections de novembre 1964, et aidée par un contexte favorable, l’administration Johnson put lancer un ambitieux programme législatif libéral, dont les droits civiques et la lutte à la pauvreté furent les deux principaux axes. En rétrospective, la Great Society incarne sans contredit le dernier grand moment progressiste de la politique américaine.

1963-1966 : Une « tempête parfaite »

La mise en place des ambitieuses réformes progressistes de la Great Society fut rendue possible par une « tempête parfaite » qui souffla sur les États-Unis à partir de la mort de John F. Kennedy, le 22 novembre 1963. Johnson sut profiter de l’élan de sympathie envers le président disparu, en insistant sur l’importance de mener à bien les idéaux promus par ce dernier. Qui plus est, aux élections de novembre 1964, les démocrates remportèrent une victoire sans appel qui leur conférait d’importantes majorités dans les deux chambres du Congrès. Ayant une fine connaissance du Congrès et de ses membres, résultat de 24 années passées au sein de cette institution en tant que représentant et sénateur, Johnson sut exercer son influence et faire avancer son ambitieux programme législatif, notamment grâce à l’entretien de liens personnels avec les élus et par l’utilisation du fameux « Johnson Treatment », consistant en un mélange de pressions, d’intimidations et de privautés envers les plus récalcitrants d’entre eux. Le 89e Congrès, qui siégea en 1965 et 1966, est considéré par plusieurs comme le plus productif, de l’histoire des États-Unis. Les lois qui y furent adoptées, notamment en regard des droits civiques et de la lutte à la pauvreté, contribuèrent à améliorer le sort de plusieurs millions d’Américains.


L’avènement d’une citoyenneté de plein droit

En ce début des années 1960, la société américaine est traversée par de nombreux tumultes qui vont profondément bouleverser le pays. Les mouvements de contestations des Afro-Américains dans le sud ségrégationniste avec comme figure de proue Martin Luther King vont devenir l’emblème de cette révolte sociale.  Dès le printemps 1964, des débats sont entamés au Congrès afin d’abolir à l’échelle nationale les mesures de discrimination basées sur des considérations raciales et/ou de genre. Le Civil Rights Act sera adopté le 2 juillet 1964. Le Voting Rights Act, voté en 1965, vint quant à lui compléter les réformes des droits civiques en permettant aux Afro-Américains d’exercer librement leur droit de vote. Afin de favoriser l’accès à l’égalité des chances aux minorités, des mesures de discrimination positive (Affirmative action) seront mises en place par l’administration Johnson. Grâce à ces dispositions, le pourcentage d’Afro-Américains appartenant à la classe moyenne va quadrupler en l’espace de 40 ans, passant de 13,4% en 1960 à 51% au début du XXIe siècle. Avancée qui s’inscrit dans cette guerre contre la pauvreté lancée par Johnson.  

Des avancées dans la guerre contre la pauvreté

Lors de son premier discours sur l’état de l’Union, en janvier 1964, Johnson avait annoncé que son administration déclarerait une guerre inconditionnelle à la pauvreté. Tout comme son prédécesseur Kennedy, Johnson avait été impressionné par la lecture du livre de Michael Harrington, The Other America, qui affirmait qu’au sein de la prospère Amérique de l’après-guerre, 25% des Américains vivaient dans la pauvreté. Lui-même issu d’un milieu modeste, le président était particulièrement sensible à cet enjeu. Son administration mit en place l’Office of Economic Opportunity, qui fut responsable de la gestion de la plupart des programmes de lutte contre la pauvreté. Plus significatif encore, c’est sous Johnson que furent créés les programmes Medicaid (assurance-maladie pour les plus démunis) et Medicare (assurance-maladie pour les aînés), deux programmes toujours en vigueur aujourd’hui et auxquels la plupart des Américains demeurent attachés. Bien qu’il soit difficile de mesurer avec exactitude les effets de la guerre à la pauvreté de l’administration Johnson, il n’en demeure pas moins que le taux de pauvreté aux États-Unis est passé de 17% en 1964 à 11% en 1973.
Bien que les réformes de la Great Society constituent une victoire progressiste majeure, elles vont également renforcer la polarisation idéologique entre le Nord libéral et le Sud profond des États-Unis. Divisions qui persistent encore aujourd’hui, en témoignent les luttes partisanes au Congrès qui mènent bien souvent à l’immobilisme législatif.

2008-2014 : le contexte favorable n’est plus


Malgré des problématiques semblables, le contexte politique washingtonien est moins favorable à l’adoption de grandes réformes qu’il ne l’était il y a un demi-siècle. Parmi les facteurs à considérer, il importe de s’attarder aux grandes différences qu’il y a entre Johnson et Obama en ce qui concerne leurs relations avec le Congrès. Alors que Johnson était connu pour son style sans états d’âme, provocateur et décomplexé, Obama adopte une attitude plus nuancée, en quête de compromis. De plus, contrairement à Johnson qui fort de son expérience connaissait personnellement chaque élu au Capitole, Obama, élu au Sénat en 2004, soit quatre ans avant son élection à la Maison-Blanche, ne bénéficie pas de cet avantage en vue d’entamer des négociations politiques. Par ailleurs, alors que Johnson profitait d’une majorité démocrate au Congrès durant les cinq années de sa présidence, Obama a dû dès la troisième année de son mandat composer avec une Chambre des représentants à majorité républicaine, au sein de laquelle la polarisation partisane a atteint des niveaux inédits, conséquence notamment de l’influence du Tea Party. En jouant sur la peur, les conservateurs ont su convaincre les Américains que le gouvernement fédéral incarnait la perte des libertés individuelles, emblème de l’American way of life. Cette attitude est à l’opposé de celle qui présida à l’introduction des réformes de la Great Society. En somme, en l’absence d’un contexte politique favorable, il est difficile d’imaginer qu’un programme réformiste aussi audacieux que celui de la Great Society puisse trouver un écho positif dans l’Amérique d’aujourd’hui. En témoigne les luttes politiques, législatives et juridiques que continue de susciter la réforme de l’assurance santé plus connue sous le nom d’Obamacare.