vendredi 26 octobre 2012

La politique étrangère : donnée insignifiante dans la course à la présidence ?


Source: Los Angeles Times

Mercredi 17 octobre des experts de la Chaire Raoul-Dandurand, lors de la conférence intitulée "Et le monde dans tout cela ? 2012 et la politique étrangère américaine" ont évoqué la place de la politique étrangère lors des élections présidentielles américaine.Question essentielle à l'aube du troisième débat entre les candidats à la présidence.

Joane Arcand, journaliste et animatrice de l'émission Dimanche Magazine sur Radio-Canada, a animé la conférence. Elle rappelle à juste titre que depuis le début de cette campagne, c'est l'économie qui semble être déterminante pour les Américains, et non les questions de politique étrangère.

Pour Karine Prémont, chercheuse à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurant, il est vrai que la politique étrangère occupe la seconde place dans les élections présidentielles. D'ailleurs elle ne représente que 4% des pubs de campagne. Elle est rarement un facteur déterminant pour l'issue des votes. Cela s'explique notamment par le fait que, les individus pensent ne pas détenir suffisamment de compétences en la matière pour pouvoir se positionner sur ces enjeux. Ils se désintéressent de ces questions au profit de la politique intérieure, qui les touche plus directement. 

Cependant, Karine Prémont rappelle que, même si la politique étrangère détermine rarement l'issue d'une élection elle peut toutefois coûter la réélection d'un président en exercice comme ce fut le cas pour  Carter avec la crise des otages en Iran en 1980.

Depuis l'avènement des médias de masse comme la télévision, la politique étrangère occupe une plus de place plus importante lors des campagnes présidentielles. On se souviendra notamment de la Baie des Cochons, et la crise des missiles sous Kennedy; de la publicité de campagne de Lyndon Johnson  Daisy, et la peur d'une guerre nucléaire. Finalement, la place de la politique étrangère sur la scène nationale américaine dépend surtout de la présence ou non d'un sentiment de menace et d'insécurité auprès de la population. En 2004 le traumatisme du 11 septembre était encore palpable, permettant à la fois la réélection de Bush, mais en même temps de justifier l'augmentation du budget de la défense.

Finalement, Karine Prémont précise que lors d'une élection serrée, tous les éléments d'une campagne ont de l'importance. Les questions de politiques étrangères se révèlent particulièrement déterminantes lorsqu'il s'agit d'évaluer le leadership des candidats, d'autant plus si ils présentent des opinions radicalement opposées en ce qui concernent les affaires étrangères.

Le rôle des médias est déterminant. On parle beaucoup des débats mais on oublie la couverture médiatique. 80% des Américains ne sont pas trop touchés par les campagnes publicitaires des candidats, qui sont concentrées uniquement dans les États pivots. 30% des Américains n'ont pas une vision claire des intentions de Romney en politique étrangère, ce qui est énorme. La couverture médiatique est d'une importance capitale, puisque c'est à partir de l'analyse des journalistes que les gens s'informent. 

Tout comme Karine Prémont, Julien Tourreille (directeur adjoint de l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand) affirme que la politique étrangère joue un rôle second dans cette course à la présidence. Mais, cela reste relativement inhabituel dans l'histoire des États-Unis. En effet, l'engagement de Clinton dans les Balkans fut un argument de campagne pour George W Bush. En 2004 et 2008, l'Irak occupa une position déterminante dans les élections. La position de Barack Obama en 2008, aurait pu miner considérablement sa candidature.

En ce qui concerne 2012, Julien Tourreille relève trois facteurs majeurs qui peuvent expliquer cette seconde place. Tout d'abord, les Américains se préoccupent d'avantage des questions économiques. Selon un sondage mené par GALLUP en juillet 2012 la politique étrangère était un enjeu déterminant pour seulement 7% des Américains, pourcentage qui descend à 4% pour le mois d'août. Alors qu'en 2008 ce même pourcentage atteignait les 25%.

Ensuite, on constate un regain du nationalisme, tendance naturelle aux États-Unis. Les guerres en Afghanistan et en Irak, bourbier depuis plus d'une décennie y sont certainement pour beaucoup. Aujourd'hui, 48% des Américains pensent que les États-Unis devraient se retirer des affaires étrangères. De plus en plus de Républicains prônent un retour à l'isolationnisme, comme l'ex candidat à l'investiture républicaine, Ron Paul.

Et enfin, le manque de crédibilité du ticket républicain. On se rappelle des gaffes de Paul Ryan sur l'Afghanistan et de Romney sur la Libye.

Finalement, même si les enjeux de politique étrangère ne sont pas au coeur de la campagne présidentielle, ils peuvent néanmoins avoir une influence sur l'issue du vote le 6 novembre prochain. Les positions défendues par les candidats sur ces questions nous en apprennent sur leurs traits de caractère, critère déterminant pour la course à la Maison-Blanche. L'électorat cherchent à déterminer si les candidats sont capables de prendre des décisions éclairées, de faire preuve de jugement en période de crise.

Pour Louis Balthazar (co-président de l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand) si les enjeux de politique étrangère sont secondaires aux États-Unis, ils sont déterminants pour le reste du monde. Il s'agit de savoir comment les États-Unis tiendront compte de l'évolution du monde pour les quatre prochaines années.

La politique étrangère américaine est une grosse machine et ne se modifie pas si facilement. C'est pour cette raison que finalement les positions de Mitt Romney et de Barack Obama sur la question ne sont pas si différentes. Des deux côtés il n'y a pas d'intention de guerres. Alors qu'entre Obama et Bush  les visions entre les deux hommes étaient radicalement différentes.

Barack Obama a insufflé un nouvel esprit en politique étrangère. Plus que des paroles, c'est véritablement une prise de conscience de ce qu'est le monde. Sa démarche s'inscrit dans un souci d'équilibre en matière de politique étrangère. Il perçoit la complexité du monde et il est conscient que les États-Unis sont une puissance en déclin. A cet effet, on se rappelle de la déclaration historique du Caire en juin 2009, où pour la première fois les Etats-Unis reconnaissent, leur erreurs, en admettant avoir joué un rôle dans la chute du régime démocratiquement élu en Irak.

Mitt Romney dans l'expression de la politique étrangère ne renoncera pas à l'exceptionnalisme, et ne fera pas preuve d'un leadership discret pour tourner en dérision le leadership from behind. Si Obama est réélu, il ne semble pas y avoir de changements majeurs. En effet, lors du second mandat, les présidents pensent à marquer l'histoire. Il poursuivra sa politique étrangère probablement dans le même esprit. En revanche, Romney utilisera très certainement la puissance des Etats-Unis pour faire l'histoire.

Charles-Philippe David (titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand, et professeur de science politique à l'UQAM) rappelle que l'écart  dans les sondages entre les deux hommes est assez stable depuis huit mois, soit environ 10%. C'est évident que les questions de politique étrangère servent à jauger le leadership des candidats. Deux critères sont déterminants pour évaluer la personnalité des candidats. Le facteur bière, permet de choisir qui fera un bon commandant en chef, qui sera capable de bien maîtriser le pays en cas de crise. En cela la mort de Ben Laden joue un rôle déterminant. Désormais, Barack Obama fait en sorte qu'une attaque terroriste est moins évidente. Lors de son discours à West Point en 2009, Obama a donné un nouvel élan à la politique étrangère. Il s'est engagé à sauver ce qui est à sauver et il a promis le retrait de l'Afghanistan d'ici 2014. Barack Obama est convaincu qu'il est un bon commandant en chef et qu'il a rempli les principaux objectifs de sa politique étrangère. Il est le président qui rassure. Il y a aussi une fatigue de la guerre aux Etats-Unis et avec Obama on n'a pas d'inquiétude quant à l'éventualité d'une nouvelle guerre. La faiblesse de son adversaire dans ce domaine est un atout pour sa réélection.

En ce qui concerne le style et le ton, Obama bénéficie d'une grande compréhension et une vision intelligente du monde, par rapport aux républicains Cependant certaines promesses n'ont pas été tenues, comme par exemple la fermeture de Guantánamo, et c'est un élément qui a déçu les électeurs. Souvent on le résume à "More hope than change".

Sami Aoun (directeur de l'Observatoire sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand) revient sur les raisons pour lesquelles la politique d'Obama au Moyen-Orient est autant critiquée. Selon lui, les évènements au Moyen-Orient illustrent la complexité du monde. La doctrine d'Obama basée sur la diplomatie mène dans une impasse.

Le Moyen-Orient perd de son intérêt pour les États-Unis au profit de l'Asie. Le printemps arabe s'est transformé en printemps islamique. Dès lors, Obama se révèle moins enclin à aider à la démocratisation de la région. Il y a une certaine impuissance provocatrice et provocante. Les peuples du Moyen-Orient voient dans le soft-power américain une non volonté d'intervention. Le retrait des États-Unis dans la région fait que l'Iran a pris la place.

Finalement, pour Obama la situation au Moyen-Orient peut se résumer selon Louis Balthazar à "Damn if you do, damn if you don't".  Il n'y a pas de recette miracle pour stabiliser la région et ses prédécesseurs en ont fait les frais. Romney devrait donc adopter une attitude prudente vis-à-vis du Moyen-Orient, évitant de rompre radicalement avec la doctrine Obama.

***

Au lendemain du troisième débat du 22 octobre, les experts reviennent sur les moments forts qui ont marqué cette soirée.

Pour Julien Tourreille, la stratégie électorale de Barack Obama est orientée sur son bilan et non sur un programme futur. Durant ce débat, il a mis l'accent sur le fait que jusqu'à présent son approche en politique étrangère a fonctionné. En ce qui concerne le dossier iranien, il a affirmé vouloir renforcer les sanctions économiques, afin de pousser l'Iran à la table des négociations. Finalement on ne relève pas de différences fondamentales sur le fond entre les deux candidats. Pas de troisième guerre mondiale à l'horizon ! Dès lors on peut affirmer que la victoire d'Obama est plus une victoire de style que de fond. Il était plus offensif et incisif que son challenger, se positionnant comme le commandant en chef du pays.

Elisabeth Vallet (chercheuse à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand) rappelle à juste titre que, malgré la victoire d'Obama lors de ce dernier débat, les démocrates n'ont pas été convaincus par la prestation du président, et craignent pour le 6 novembre. Même si 51% d'entre eux pensent qu'il a quand même dominé, il ressort que ce qui compte c'est l'économie. Or, lors du premier débat sur les questions de politique intérieure, Romney s'est clairement affirmé.  Plus que le débat en lui-même c'est surtout le debriefing  des médias qui a le plus d'impact. Les électeurs se fieront aux analyses des journalistes pour se forger une opinion sur les candidats. Rien n'est encore joué et Obama doit motiver son équipe de campagne afin de mobiliser le vote, et surtout celui des minorités comme les Afro-Américains. Même si la communauté noire a majoritairement votée pour Obama en 2008 (plus de 95%), portée très certainement par l'enthousiasme du fameux "Yes we can", il va être très difficile, voire impossible de renouveler cet exploit cette année. Non seulement les Afro-Américains votent peu, mais beaucoup ont été déçus des politiques d'Obama ce qui risque de se ressentir dans les urnes par un taux d'abstention très élevé.

Ce que l'on peut retenir de ce dernier débat c'est qu'il n'y a pas une vision radicalement différente entre les deux hommes concernant les questions de politique étrangère. Même si Obama a dominé le débat, son expérience lui a permis d'être à l'aise et de ne pas se laisser déstabiliser par son adversaire, Mitt Romney est resté prudent, il n'a fait aucune gaffe. Il a clairement affirmé son objectif: un monde en paix. Il ne s'écarte pas vraiment de la politique d'Obama. Ce qui était particulièrement frappant lors de ce débat, c'est qu'il était question de gagner les États clefs et notamment l'Ohio, peu concerné par les enjeux de politique étrangère. Ainsi, les candidats (surtout Mitt Romney) n'ont cessé de revenir sur les questions économiques dès que l'occasion se présentait.

Pour aller plus loin et surtout plus en profondeur sur les analyses des experts cités dans ce billet je vous invite à consulter la page consacrée aux élections de l'UQAM en partenariat avec la Chaire Raoul-Dandurand. Vous trouverez le lien ici.

A.E

mercredi 3 octobre 2012

Votre guide électoral 2012: Candidats, enjeux, Etats clés et courses à surveiller.

Mercredi 26 septembre se tenait à l'auberge Saint-Gabriel dans le vieux-port, la première conférence de la série "Election 2012: l'affrontement Obama" organisée par l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand.

David Lublin professeur à l'American University à Washington DC, et John Parisella ex délégué général du Québec à New York nous exposent les mécanismes du système électoral américain. Ils se risquent même à des pronostics quant à l'issue de l'élection du 6 novembre prochain.

Selon les estimations du 26 septembre, Barack Obama obtiendrait 247 délégués contre 191 pour Mitt Romney. Le président serait également en bonne voie pour remporter l'ensemble des États clés grâce à la règle du winner-take-all, en vigueur dans un grand nombre de ces États. Seule la Caroline du Nord est donnée de facto favorable au candidat républicain. 

Mais comme le précise John Parisella, rien n'est joué tant que la date fatidique de l'élection ne scelle les résultats. En effet, cette élection semble vouloir défier la règle de l'élection statistique. Même si aucun président n'a jamais été réélu lorsque le taux de chômage dépassait les 7,2%, les électeurs restent plus enclin à accorder leur confiance dans l'actuel locataire de la Maison-Blanche qu'à son challenger, en ce qui concerne la relance de l'économie et la création d'emplois. Toutefois le bilan des quatre années d'Obama est mitigé et il devra, si il est réélu, faire ses preuves dans le second mandat et marquer l'histoire.

Les Américains regardent au-delà des enjeux, et s'attardent sur la personnalité des candidats. A l'heure actuelle, Barack Obama apparaît comme plus sympathique et charismatique que son adversaire. C'est un problème de taille auquel doit s'attaquer Romney qui, à l'aube de l'élection laisse planer le mystère. Qui est le véritable Mitt Romney? Or, les électeurs n'aiment pas rester dans le flou. Ils veulent un leader envers qui ils peuvent s'identifier. Les débats à venir ne semblent pas bouleverser la donne actuelle. Il n'y a pas d'Home Run prévu de la part de Mitt Romney. Ce que confirme David Lublin, en précisant qu'habituellement les débats ne changent rien à l'issue du vote.

Frédérick Gagnon (professeur au département de science politique de l'UQAM et directeur de l'Observatoire sur les Etats-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand) revient sur les fameuses données du taux de chômage rappelant qu'aucun président n'a été réélu lorsque le taux de chômage dépasse les 7,2%. Mais il semble que ce soit différent pour Barack Obama. La question sous-jacente est de savoir si la convention démocrate a joué un rôle majeur dans ce phénomène. 

David Lublin souligne que le problème de Romney en ce qui concerne l'économie est l'absence d'alternatives crédibles. Il se contente de critiquer les politiques de l'administration Obama, qu'il jugent inefficaces et onéreuses, sans proposer de programme concret. Obama répond à cette attaque par sa devise Forward. Même si son bilan économique n'est pas à la hauteur des promesses de 2008, le pays se trouve dans une meilleure posture que lors de son investiture. "Four more years" sont indispensables pour espérer aller au bout des politiques entreprises depuis le début de son mandat.

Pour John Parisella cette fameuse donnée du 7,2% est un mythe crée par les médias. Loin d'être un indicateur fixe, c'est au contraire un élément très relatif. Lorsque Clinton a brigué en 1996 un deuxième mandat, le contexte économique était morose. La relance du pays n'était envisageable que sur le long terme. Les électeurs conscients de cet enjeu ont malgré tout accordé leur confiance au président. Or, là où le bas blesse pour Mitt Romney c'est qu'il propose les mêmes politiques menées par George W Bush. Ces mêmes politiques qui sont à l'origine du marasme actuel, ce qui n'échappe pas aux électeurs. 

L'issue des débats et la surprise d'octobre (si surprise il y a ! ) feront peut-être basculer la tendance actuelle. La campagne perdure jusqu'au 6 novembre.

A.E
 

lundi 1 octobre 2012

"La démocratie américaine est-elle malade?"

La librairie "Le Port de tête" accueillait, mardi 25 septembre, le premier d'une longue série d'évènements organisés par la Chaire Raoul-Dandurand concernant les élections américaines. C'est autour d'une discussion animée par François Lemay (chroniqueur et animateur chez Radio-Canada) que les auteures Elisabeth Vallet et Karine Prémont nous ont chacune présenté leur nouvel ouvrage.
Lors de cette discussion articulée à partir, d'une question des plus pertinente en cette veille d'élection "La démocratie américaine est-elle malade" Elisabeth Vallet et Karine Prémont nous éclaire sur les rouages du système électoral américain, et plus largement sur les particularismes du modèle démocratique du pays de l'Oncle Sam. Deux concepts plutôt difficiles à saisir.



Elisabeth Vallet détient un doctorat de l'Université Pierre-Mendès France à Grenoble et un postdoctorat du Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal. Elle enseigne la géopolitique à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) en plus d'être membre de l'observatoire sur les Etats-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand). Son ouvrage Comprendre les élections américaines : la course à la Maison-Blanche est un guide très complet et accessible du système électoral américain, qui après lecture n'aura plus de secret pour vous.




 Karine Prémont est professeure au Collège André-Grasset et titulaire d'un doctorat en science politique. Elle est également chercheuse à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM. Son ouvrage Les secrets de la Maison-Blanche : l'impact des fuites d'informations confidentielles sur la politique étrangère des Etats-Unis permet de mieux saisir les transformations du leadership présidentielle en matière de politique étrangère depuis l'avènement des médias de masse.











Alors quels sont les éléments clefs à retenir de cette discussion ? (Ce compte-rendu n'est pas une retranscription mots pour mots, mais une reformulation et une interprétation personnelle du contenu de la conversation).

"La démocratie américaine est-elle malade ?"

François Lemay : La Constitution des États-Unis semble être un texte immuable qui définit entre autres, les pouvoirs du président. Alors pourquoi une telle évolution dans les prérogatives présidentielles ?

Elisabeth Vallet : A l'origine, les États-Unis c'est une confédération d’États souverains (treize exactement) qui ont élaboré ensemble un système collégial de gouvernance par le biais d'un congrès. Or les problèmes organisationnels et la diffusion du pouvoir affectèrent la gestion politique de la Confédération conduisant à sa perte, au profit d'un gouvernement plus centralisé. Les pères fondateurs de la Constitution américaine de 1789 s'entendent sur la nécessité de désigner un président, un chef de gouvernement symbolisant l'unité du pays. Mais, la peur de la monarchie et de la tyrannie (vieilles blessures du passé) incite les rédacteurs de la Constitution à établir un système de poids et contre poids les fameux checks and balances, afin d'éviter tout abus de pouvoir de l'une des trois branches de gouvernance. Cependant,  l'article 1 de la Constitution sera consacré à l'établissement des prérogatives du Congrès (pouvoir législatif) qui détient une ascendance certaine sur les deux autres pouvoirs. On parle d'ailleurs d'un gouvernement du Congrès. Mais la Seconde Guerre mondiale et l'arme nucléaire vont changer la donne. Le président devient plus puissant sous Franklin Delano Roosevelt (FDR). Alors qu'avant cette date être président était une "corvée".


FL : Karine, est-ce que depuis l'ère Kennedy on peut dire que l'on juge la qualité d'une administration en fonction du nombre de fuites connues de l'opinion publique ?

Karine Prémont : Les fuites révèlent surtout un problème de contrôle de l'équipe du président. Elles démontrent les chicanes existantes. Ce n'est pas tant le nombre, mais la nature des fuites qui est importante. Il y a deux sortes de fuites. Les fuites de contestation qui servent à modifier des politiques, mais en général elles sont peu efficaces. Et les fuites contrôlées par la Maison-Blanche qui servent à déterminer jusqu'où on peut aller dans une politique. Pour évaluer, discuter une décision peu populaire. 


FL : Si le président a besoin d'utiliser les fuites pour agir sur le Congrès, a-t-il vraiment le contrôle de son pays ?

EV : Non. Il est un parmi beaucoup dans le processus décisionnel. Il y a également un équilibre des pouvoirs au sein de la Maison-Blanche. C'est ce qui est au fondement même de la démocratie américaine : l'équilibre à la fois entre, mais également à l'intérieur des pouvoirs.


FL : Peut-on résumer le processus démocratique aux États-Unis en disant pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

EV: Oui et non. C'est une erreur de voir les États-Unis comme une entité unitaire. Pour mieux comprendre, on peut effectuer une comparaison avec l'Union européenne. Selon les États, le système juridique est différent. Il existe également beaucoup de mouvements indépendantistes qui créent des distorsions, car chaque État se voit comme un État à part entière qui possède son propre modèle électoral, et sa propre constitution. Il ne faut pas oublier que la philosophie première de la Constitution c'est de créer une confédération et non un État unitaire.

FL : On a souvent entendu parler de scandales consécutifs à des fuites. Quels en sont les impacts sur la politique américaine ? 

KP : Il y a des fuites qui fonctionnent, mais c'est rare. Dans le cas du Watergate c'est le résultat d'une présidence branlante affectée par de nombreuses discordances. Ces problèmes internes favorisent les fuites comme signe de contestation. Dans ce cas, on déborde du cadre de la légalité. Les limites ont été franchies ce qui a conduit à la démission du président Nixon. Lorsqu'il y a trop de fuites, c'est impossible à colmater.
Pour ce qui est de la crise de la Baie des Cochons sous Kennedy, les journalistes et l'URSS connaissaient la date du débarquement. Castro était également dans la confidence et attendait les Américains. Cet épisode s'est terminé par un fiasco total. Il y eut beaucoup de morts et de prisonniers américains lors du débarquement. On peut dire que la cause de cette débâcle c'est une décision non assumée de la part de JFK concernant une opération préparée sous l'administration précédente Eisenhower. 
Dans le cadre de Wikileaks, les fuites n'ont pas eu l'effet escompté. Certes, elles ont provoqué l'embarras d'Obama sans pour autant créer le buzz politique. Le nombre de fuites était impressionnant, mais la qualité de l'information était minime. Il n'y a finalement pas eu de gros scandale politique. C'est l'accumulation des fuites qui a fait mouche. 


FL : Les Etats-Unis sont un ensemble d’États différents, mais pourquoi le gouvernement n'envisage-t-il pas d'imposer un seul système électoral uniforme?

EV : Beaucoup sont contre le gouvernement central il est donc difficile d'imposer un modèle national. Les Etats tiennent à leur indépendance. 


FL : Lors des campagnes présidentielles surtout, on parle beaucoup du jeu du financement des campagnes qui permet de faire appel à des services de mécènes en échange d'intérêts, qu'en est-il aujourd'hui? 

EV : Avant les contributions étaient réglementées. Mais avec la crise de 2008 et la réduction considérable des dépenses publiques, on est revenu en arrière. En 2010 la Cour Suprême avec l'arrêt Citizens United V. Federal Election Commission permet le financement sans limites des campagnes. Ces Super Pac (Political Action Committee) regroupent des organisations (milliardaires, entreprises, groupes d'intérêt) qui peuvent lever des fonds illimités pour soutenir un candidat.


FL : Karine, pourquoi avoir choisi d'analyser les fuites à partir de Kennedy ?

KP : Tout simplement parce que cette période correspond à l'apparition des médias de masse permettant une diffusion plus large de l'information. A partir e l'ère Kennedy, l'Opinion publique devient une arme politique majeure.

FL: Existe-t -il des cycles particuliers en matière de fuites, des pics?

KP : En fait cela dépend beaucoup de facteurs internes aux pays comme la bonne santé de l'économie, le leadership du président, etc). Cependant, on constate qu'il y a généralement plus de fuites lors du second mandat, car l'opinion publique et l'opposition sont souvent plus lassées. Ce sont des fuites de contestation.

EV :  C'est ce qu'on appelle en effet la malédiction du second mandat où il faut régler ses comptes.


FL : Les primaires sont le passage obligé lors des présidentielles. Mais ce processus de sélection traine en longueur. Peut-on dire finalement que le président est toujours en élection ?

EV : Oui tout à fait. Le président est réellement président lors du second mandat. On peut dire qu'il est en élection constante, car il y a des élections tous les deux ans. Dont une fois sur deux c'est ce qu'on appelle les élections de mi-mandat, qui mobilise surtout l'électorat frustré du gouvernement en place. Très souvent lors de ce scrutin, le parti du président perd des sièges au Congrès et même très souvent perd la majorité dans l'une des deux chambres. Le président peut réellement agir politiquement lorsqu'il a un Congrès favorable.

FL : Le facteur religieux occupe une place importante dans le choix du futur président. Un mormon peut-il être élu ? 

KP : C'est difficile à dire. Romney a beaucoup d'éléments qui jouent contre lui. Ceci dit, ce n'est pas tant la religion qui est déterminante, mais le leadership lors des présidentielles. On élit un meneur, qui doit à la fois faire preuve de charisme, mais également être sympathique. C'est ce qu'on appelle le facteur bière : les électeurs voteront pour le candidat avec qui ils iraient prendre une bière, et à l'heure actuelle, Mitt Romney peine à gagner en popularité.

EV: Les chiffres du Pew Research Centre démontrent qu'aux États-Unis il est plus facile d'élire un homme plutôt qu'une femme quelque soit sa religion ou couleur de peau.

FL: Le processus électoral aux Etats-Unis est complexe, à qui sert-il ?

EV: Il y a une passoire informationnelle aux Etats-Unis donc il est difficile de cautionner la théorie du complot d'une telle ampleur. 

FL: Depuis les élections de 2010 on parle d'un renforcement de la polarisation de la société, que pouvez-vous nous en dire? 

KP : On constate une polarisation plus prononcée de la société américaine, avec un virage à droite accentué par les médias. Mais en même temps, les gens s'informent auprès des médias qui leur sont idéologiquement proche. Ce qui a tendance à renforcer cette idée d'une Amérique divisée en deux..

EV : Depuis les années 1980, l'écart se resserre dans les élections. On constate une diminution des disparités pour les présidentielles. Cependant, l'opinion publique reste plus divisée selon les enjeux (économie, emploi, avortement, mariage homosexuel...). A cela s'ajoute la règle du winner-take-all, véritable distorsion du mode de scrutin qui engendre des disparités sur le plan national. Mais si on regarde les résultats par comtés la carte des Etats-Unis est violette.


A.E